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Ils soutiennent Auxilia - Sylvie NORDHEIM
Propos recueillis par Stéphane d'Auxilia
D’où viennent vos passions pour l’écriture, la mise en scène, et la comédie ?
J’écris et je « joue » depuis toujours. Petite, je demandais à mes maîtresses si je pouvais monter sur la table pour déclamer les leçons de poésie. J’adorais les fables de la Fontaine parce qu’il y avait plein de personnages à interpréter. J’étais une enfant solitaire, qui n’aimait pas trop sa vie, je me racontais beaucoup d’histoires et je me parlais toute seule. Grâce à mon imagination, je me suis recréé tout un monde dans lequel je vivais plein d’aventures formidables. Mais je me régalais aussi le dimanche après-midi, avec les petits films de Charlie Chaplin et Laurel et Hardy, suivis d’un western, seuls programmes que j’avais le droit de regarder à la télé (télé que ma mère fermait à clé !). Plus tard, j’ai découvert Molière, et les grandes comédies américaines dans les petites salles du Quartier latin. Ma préférée : The Shop Around The Corner de Ernst Lubitsch.
Quel parcours avez-vous suivi pour que cela devienne votre profession ?
Je n’ai pas vraiment « suivi de parcours » ou alors, il était totalement en zigzag. Adolescente, j’ai fait de nombreuses fugues et j’ai décroché du système scolaire en seconde. Virée successivement de deux lycées, j’ai commencé à travailler à seize ans. Mes parents ne m’ont pas donné le choix. Si je ne voulais pas faire d’études, eh bien, j’allais comprendre ce que c’était la vie. Ma mère a demandé à son marchand de légumes de m’embaucher. Le matin, je bossais au marché ou à l’Inserm où je photocopiais sur des énormes machines des articles scientifiques ; l’après-midi, j’allais à un cours de théâtre. Mais je n’étais pas heureuse là non plus, je n’y suis pas restée. J’ai fait plein de petits boulots avant de commencer à travailler en tant que comédienne. Et puis, à l’aube de la quarantaine, j’ai décidé de passer un DAEU qui m’a permis d’entrer à la fac. Quatre ans plus tard, j’obtenais un CAPES de lettres modernes. J’ai enseigné pendant quelques années au collège et lycée le français, le latin, et le théâtre (pour l’option ou la spécialité au bac). C’est là que j’ai commencé à écrire des pièces sur mesure à partir d’improvisations collectives pour mes élèves.
Depuis 2010, vous animez des ateliers de théâtre en détention. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller à la rencontre des prisonniers ?
Je ne supportais plus l’enseignement, une activité trop répétitive qui m’a assez vite lassée et j’avais depuis longtemps envie de travailler en milieu carcéral. Beaucoup de gens souffrent à travers le monde. On peut vouloir aider des malades, des réfugiés, des sans-abris, etc. Moi, c’est avec les prisonniers que je me sens le plus en phase et le plus utile. Vous dire pourquoi est une autre histoire, les raisons étant multiples et complexes. J’ai appris bien après avoir commencé mon activité que mon grand-père, un juif Allemand qui s’était réfugié en France en 33 pour fuir le nazisme, et qui était mort un an avant ma naissance, était visiteur de prison à la Santé. Cette idée m’a plu. Comme si j’avais suivi naturellement une destinée intergénérationnelle…
À quoi ressemble un premier atelier de théâtre en détention avec Sylvie Nordheim ?
Les premières séances sont essentielles pour créer une complicité et une cohésion de groupe. C’est vraiment un travail collectif qui repose sur l’échange, la confiance qu’on doit trouver en soi, mais aussi chez les autres. Et puis, il faut réveiller, stimuler les imaginations parfois ankylosées par la détention, à travers des jeux, des remue-méninges, des improvisations. Mais nous rions surtout beaucoup. Rien de mieux pour déverrouiller, faire sauter les blocages. Je crois fondamentalement à la vertu du rire.
Votre projet est ambitieux et porteur d’espoir, car les détenus qui participent à vos ateliers montent sur la scène du théâtre de l’Odéon pour présenter leur création face à des centaines de spectateurs. Quelles ont été les difficultés rencontrées pour mener à bien cet objectif, et comment avez-vous vaincu ces obstacles ?
Les difficultés sont forcément innombrables. Je citerai juste les principales.
Il faut déjà sélectionner les personnes détenues, surtout pour le deuxième atelier qui concerne les répétitions, car seuls les prisonniers avec un profil « permissionnable » pourront participer à cette sortie exceptionnelle.
Ensuite, il faut pouvoir mettre en œuvre cet atelier sur le plan logistique, trouver une salle (produit rare dans une prison surpeuplée), un créneau horaire régulier qui puisse satisfaire autant l’administration que les détenus. Il y a beaucoup d’activités en milieu carcéral. Les responsables culturels doivent gérer harmonieusement les programmes qu’ils proposent.
Enfin, c’est la sortie en elle-même qui est l’étape la plus délicate. Une dizaine de jours avant la représentation, la Commission d’application des peines décidera si oui ou non la personne détenue pourra sortir. En regardant le documentaire qui a été tourné sur mon atelier, j’ai découvert comment se passait exactement cette CAP (à laquelle je ne suis jamais conviée). J’ai constaté à quel point une décision tient parfois à un fil. Un détenu peut donc répéter plusieurs mois pour rien. Quant à moi, il faudra que je trouve une solution en urgence pour remplacer le ou les absents. Cette année, j’ai choisi de faire appel à des anciens détenus qui avaient participé à mes ateliers. Mais il m’est arrivé de n’avoir que trois détenus sur six et de ne l’apprendre qu’au tout dernier moment. La veille, un détenu éprouvait un tel trac qu’il avait renoncé à jouer, un autre avait été brusquement transféré dans un autre centre pénitentiaire.
Ne parlons pas de tous les autres imprévus qui font de cette représentation une aventure souvent rocambolesque… Il faut savoir improviser constamment !
Comment les prisonniers vivent-ils cette rencontre avec le public ?
C’est assez magique. Rarement, les détenus sont applaudis pour ce qu’ils font. Ce soir-là, ils sont ovationnés. Cela leur prouve qu’un projet comme celui-ci, un projet auquel ils ne croient pourtant pas forcément tous au départ, peut aboutir et fonctionner. Ces hommes souvent désabusés, revenus de tout, fâchés contre la société (dont le public représente un échantillon) sont soudain bouleversés, touchés au plus profond d’eux-mêmes par l’enthousiasme de la salle. À cet instant, l’émotion est palpable.
En quoi le théâtre peut-il aider les personnes incarcérées dans leur réinsertion ?
C’est difficile de juger réellement l’impact de mon activité. Est-ce que les détenus tireront profit de ce que j’ai tenté de leur transmettre ? Je préfère rester modeste, même si je sais que, pour certains dont j’ai gardé le contact, cela a été une expérience fondatrice. Il se passe en tout cas sûrement quelque chose d’exceptionnel sur la scène de l’Odéon. Autant du côté de la scène que de la salle. Cela me semble un point très important, car je suis convaincue que la réinsertion marche dans les deux sens. La société doit aussi apprendre à accueillir les détenus. Et lors de cette représentation, le public change son regard sur ces hommes. C’est une expérience dont nous sortons tous grandis.
Merci beaucoup, Sylvie, d’avoir accepté cette interview. C’est un honneur pour nous. Pour conclure, quel message souhaiteriez-vous laisser aux formateurs bénévoles d’Auxilia et aux apprenants détenus d’Auxilia ?
Je pense que les formateurs font un travail essentiel, admirable. J’ai un immense respect pour tous ces bénévoles qui travaillent dans l’ombre, qui offrent de leur temps et de leur énergie aux oubliés de la société. Et je dis bravo aux détenus qui savent recevoir ce don. Bravo d’avoir surmonté les complexes, les résistances. D’avoir dit « je ne sais pas, apprenez-moi ! ».
Nombreux sont les adultes libres qui en sont incapables.
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